Dessins des tranchées
Nimes, le 10 janvier 1915
Je t’adore mon Lou et par moi tout d’adore
Les chevaux que je vois s’ébrouer aux abords
L’appareil des monuments latins qui me contemple
Les artilleurs vigoureux qui dans leur caserne rentrent
Le soleil qui descend lentement devant moi
Les fantassins bleu pâle qui partent pour le front pensent à toi.
Car ô ma chevelure de feu tu es la torche
Qui m’éclaire ce monde et, flamme, tu es ma force
Guillaume Apollinaire
Poèmes à Lou
Mourmelon-le Grand, le 6 avril 1915
Ma Lou, je coucherai ce soir dans les tranchées
Qui près de nos canons ont été piochées.
C’est à douze kilomètres d’ici que sont
Ces trous où dans mon manteau couleur d’horizon
Je descendrai tandis qu’éclatent les marmites
Pour y vivre parmi nos soldats troglodytes.
Le train s’arrêtait à Mourmelon le Petit.
Je suis arrivé gai comme j’étais parti.
Nous irons tout à l’heure à notre batterie.
En ce moment je suis parmi l’infanterie.
Il siffle des obus dans le ciel gris du nord
Personne cependant n’envisage la mort.
[…]
Cette boue est atroce aux chemins détrempés.
Les yeux des fantassins ont des lueurs navrantes.
Nous n’irons plus aux bois, les lauriers sont coupés,
Les amants vont mourir et mentent les amantes.
Guillaume Apollinaire
Poèmes à Lou
6 Septembre 1916
Ma chère mère,
Je t’envoie quelques lignes des tranchées où nous sommes depuis dimanche soir. De la boue jusqu’à la ceinture, bombardement continuel, toutes les tranchées s’effondrent et c’est intenable, nous montons ce soir en 1re ligne, mais je ne sais pas comment cela va se passer, c’est épouvantable. Nous avons déjà des tués et des blessés et nous avons encore deux jours à y rester. Je donnerais cher pour être loin d’ici. Enfin espérons quand même.
Adieu, et une foule de baisers de ton fils qui te chérit.
Gaston
Extrait de Paroles de Poilus